ALLOCUTION DE MONSIEUR LE GALLO, LORS DU VERNISSAGE DE LA ROUTE DES ATELIERS À LA MONNAYE :
On pourrait croire que les quatorze ateliers d’artistes ouverts au long d’une route qui va de Saint-Jean le Blanc et Ingré à Baule composent comme un salon de l’Orléanais, dispersé et perlé au long de notre beau fleuve de Loire : on aurait là les avantages du regroupement, de la concentration des talents, au sein d’un groupe qui s’est coopté et s’éprouve deux fois l’an d’une véritable connivence artistique - et ceux de la diffusion, de la discontinuité qui oblige au voyage, à la relance, distendant le parcours trop resserré de la salle d’exposition, et allongeant le pas du promeneur. En ce sens, on pourrait voir dans cet accrochage de La Monnaye comme un concentré, un abrégé, la forme réduite du grand salon de ce week-end.
Ce serait une erreur : en fait la visite d’atelier est à peu près le contraire de celle du salon, puisque vers celui-ci l’artiste « envoie », c’est le terme technique, son œuvre pour la soumettre très officiellement, sinon à son approbation, du moins à son regard intéressé. Et cet « envoi » est le plus souvent une œuvre finie, en tout cas arrêtée : elle doit passer pour telle. Dans un salon, c’est l’œuvre qui va au spectateur.
L’atelier est tout autre chose : le passant s’y introduit, s’y glisse dans l’intimité de l’artiste, on n’est plus dans l’espace public mais dans le privé, et le plus exclusif qui soit, celui d’un créateur. Du coup, en l’ouvrant au passant, ce dernier n’expose plus son œuvre, il s’expose lui-même. Cette prise de risque assumée, cette indiscrétion de l’intrus, acceptées de part et d’autre et très provisoirement convenues, n’est pas pour rien dans le plaisir de la visite. On espère surprendre l’artiste au cœur de son travail, on se prend à espérer voler quelque secret : chaque visiteur d’atelier se sent un peu comme Prométhée volant le feu aux immortels.
Et puis dans un salon le travail accompli s’exhibe, alors que dans l’atelier il hésite encore, se cherche, loin de toute certitude et de tout triomphe prématuré. Il ne se contemple pas, il se fait, et le passant le surprend dans son origine, au lieu de l’admirer dans son aboutissement. La fondamentale timidité de l’œuvre qui ne s’est pas encore trouvée s’offre à un regard plus scrutateur qu’appréciateur, plus curieux qu’impressionné, le spectateur se fait ici voyeur : il n’est pas vraiment à sa place, ce lieu n’est pas le sien, contrairement au salon, où il règne.
Mais en même temps, plus que dans le salon cette intimité forcée dépouille le tableau, la sculpture de la neutralité conventionnelle qu’ils acquièrent en s’accrochant aux cimaises ou en se posant sur un socle : un lien plus étroit peut s’établir avec l’objet, parce qu’il paraît plus brut, plus authentique, plus originel en somme, mais aussi moins public, moins partagé, support provisoire d’une complicité entre l’artiste et son admirateur. Et entre ce lieu, l’atelier, d’où il faudra bien que l’œuvre sorte (comme il faut bien que l’enfant vienne au jour), et cet autre, le salon, dont le décorum la désamorce toujours un peu et la recouvre d’une sorte de vernis protocolaire, s’en ouvre tout naturellement un troisième, celui où le visiteur pourra enfin se l’approprier, toute pleine encore des sentiments qui se seront esquissés et joués sur elle, où il pourra à loisir reconstituer en la contemplant ce moment d’exception : un espace tout aussi privé que l’atelier, et ouvert comme lui à quelques privilégiés ravis, la demeure du collectionneur.
C’était vous l’avez compris, mesdames et messieurs, et pour parler plus net, ma façon à moi de souhaiter, aux amateurs, de passionnantes expéditions dans tous ces lieux de création, et aux artistes, de fructueuses portes ouvertes !